Centralisation implique hiérarchisation implique émergence de structures de domination et réciproquement.
L’anarchisme, du moins tel que je le comprends […] est une tendance de la pensée et de l’action humaine qui cherche à identifier les structures d’autorité et de domination, à les appeler à se justifier, et, dès qu’elles s’en montrent incapables (ce qui arrive fréquemment), à travailler à les surmonter, écrit Chomsky.
J’aime cette définition de l’anarchie. Elle situe comme anarchistes ceux qui se sont opposés à l’esclavage ou ceux qui se sont opposés à la domination des hommes sur les femmes. Nous avons non seulement pour devoir de perpétuer ces luttes anciennes mais nous devons en entreprendre de nouvelles car des hommes imaginent sans cesse de nouvelles structures de dominations.
Au début des années 1980, Xerox introduit un point de centralisation au AI Lab du MIT. La société y installe une imprimante laser prototype sans en fournir le code du driver.
Xerox en ne révélant pas le code introduit un goulet d’étranglement. Il faut passer par Xerox au moindre problème et subir la logique de fonctionnement décidée par Xerox.
Xerox a introduit de la rareté là où les programmeurs avaient toujours connu l’abondance. Xerox s’est placé au-dessus d’eux, les a mis en situation de dépendance.
Alors âgé de 27 ans, Richard Stallman se sent pris au piège. Il en déduit que la privatisation du code informatique est une atteinte à sa liberté de programmeur et d’usager des ordinateurs et de leurs périphériques.
Xerox justifie l’instauration de cette structure de pouvoir au nom du droit commercial. Est-elle justifiée ? Non pense Stallman et il trouve une manière de l’abattre : créer des logiciels libres et ouverts pour que la culture informatique puisse se développer et que chacun de nous soit maître de ses ordinateurs et de ses périphériques.
Depuis il passe sa vie à lutter contre la réduction artificielle de l’abondance du code informatique, et plus généralement de tous les codes culturels.
Dans l’économie, l’argent remplace les lignes de codes et nous nous trouvons dans une situation comparable. Certains opérateurs ont le pouvoir d’injecter de l’argent supplémentaire, presque à volonté.
Beaucoup de gens croient que ce pouvoir est dévolu aux banques centrales et admettent leur légitimité, puisqu’elles émanent du peuple, bien que de manière très indirecte.
Il ne s’agit pas de condamner en bloc toutes les structures de pouvoir. Certaines peuvent être nécessaires, d’autant quand la grande majorité d’entre nous les accepte. Par exemple, la police.
En revanche, quand les banques créent l’essentiel de la masse monétaire selon le mécanisme de l’argent dette, le peuple ne le leur a pas concédé ce droit. Elles se le sont approprié.
Ces points d’émergence de l’argent frais sont peu nombreux, privés et fermés aux yeux de la plupart d’entre nous. Nous avons donc bien des structures de pouvoir qui font la pluie et le beau temps dans l’économie.
Ces points centralisés de création monétaire peuvent-ils se justifier ? Est-il possible de s’en passer ? Oui, par exemple en faisant de chacun de nous des émetteurs de monnaie, selon de principe du dividende universel, en accord avec les mécanismes théorisés, par exemple, par Stéphane Laborde dans sa Théorie relative de la monnaie.
Il est intéressant de remarquer qu’une telle création monétaire distribuée, selon un code monétaire ouvert, n’est possible qu’en s’appuyant sur les logiciels eux-mêmes ouverts. Stallman a lancé un mouvement qui dépasse de loin le seul cadre informatique.
Dès que nous nous trouvons face à une structure pyramidale nous devons nous interroger au sujet de sa nécessité. Chaque fois que nous pouvons lui trouver un substitut, nous sommes en passe de gagner en liberté (comme les esclaves, les femmes, les programmeurs…).
En trouvant un moyen d’éviter le point d’étranglement que constitue une pyramide, nous gagnons en fluidité. L’information ne monte plus avant de redescendre, elle circule transversalement. Nous n’attendons plus l’aval d’un supérieur, et du supérieur du supérieur, avant d’agir mais juste celui de nos pairs.
Encore une fois, l’informatique a son rôle à jouer. En nous aidant à nous interconnecter, à tracer des réseaux sociaux de plus en plus dense, elle favorise la création d’organisations réticulaires qui peu à peu cassent les hiérarchies : circulation transversale de l’information, auto-organisation, accroissement de l’intelligence collective…
Plus cette complexité sociale augmente, plus le management top-down devient difficile comme je le montre dans L’alternative nomade. Il coûte de plus en plus cher, passe souvent par le développement de l’antipathie, devient difficile à supporter pour la plupart des gens.
Dans un monde complexe, les pyramides ont ainsi de plus en plus de mal à se justifier… et leur maintient n’est possible qu’avec une dépense d’énergie prohibitive. Progressivement, avec le développement de la complexité sociale, les pyramides ne peuvent que se déliter. Chaque fois qu’elles abdiquent, nous gagnons en liberté.
Le combat pour le logiciel libre et pour la monnaie libre se situe dans ce cadre plus général du passage des organisations centralisées aux organisations réticulaires. Il est en train de se répandre partout. Par exemple, quand les paysans vendent en direct leur production ils s’attaquent à la pyramide de la grande distribution.
Crédit photos cc FlickR : argo_72, - FrOsT-, jirotrom.
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Article initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet.
]]>L’épisode I Have News nous interroge sur la manière d’exploiter le potentiel de co-création de valeur ajoutée que le web et les réseaux sociaux laissent entrevoir dans nos processus journalistiques. Ne comptez pas sur moi pour jouer ici les donneurs de leçons, je n’en n’ai ni les moyens ni l’ambition, mais, puisque l’on m’y invite, à partager avec vous quelques réflexions sur ces liens qui nous unissent à ceux que l’on avait coutume d’appeler « Audience »
C’est un fait, les commentaires des internautes à propos de nos productions nous laissent parfois un goût amer, souvent de trop peu, qui de prime abord ne nous incitent pas à ouvrir plus grand les vannes de l’interactivité. C’est à la fois parfaitement compréhensible et en même temps bigrement frustrant.
Pourquoi diable irions-nous en effet sciemment mettre en danger l’intégrité de notre hiérarchie de l’information en acceptant que des amateurs y participent ?
Peut-être parce que l’ADN même de l’information est en train de changer. Parce que c’est la notion même de « hiérarchie », par essence verticale, qui se désintègre progressivement au contact des «conversations entre êtres humains connectés, des conversations qui étaient tout simplement impossibles à l’ère des médias de masse».
Le web, le mobile et la télévision interactive « délivrent » l’info en y intégrant une évidence fondamentale issue de ces conversations: si elle a bel et bien un coût, l’information n’appartient toutefois à personne. Pas plus à Murdoch qu’à Google. Pas moins à Copiepresse qu’à Tartenpion. Seul compte l’usage que l’on en fait et le sens que l’on y apporte dans un contexte particulier.
Que faire alors ? Eriger des murs pour tenter de retrouver l’illusion rassurante du contrôle que les cycles de bouclage de nos éditions nous apportaient ou bien « lâcher prise avec dignité« , comme le suggère Eric Scherer, directeur Stratégique à l’AFP , et construire ces espaces propices à la co-création de valeur ajoutée grâce aux leviers d’une interactivité éventuellement débarrassée des sms surtaxés ?
Cette stratégie, car c’en est une, ne signifierait nullement renoncer aux valeurs qui ont patiemment participé à la construction de la crédibilité de nos médias mais, au contraire, la renforcerait en intégrant la diffusion de l’information comme une étape certes importante, mais non plus comme une fin en soi.
Conjuguer la force de l’analyse, de la prise de recul et de la contextualisation avec la puissance des hyperliens, des algorithmes de recherche et des conversations entre individus de bonne volonté m’apparaît comme le chantier le plus excitant à mener actuellement au sein d’une rédaction. Celles qui réussiront à mettre en formes ces équations à multiples inconnues continueront à coup sûr à se rendre indispensables dans l’espace démocratique et économique. Les autres, tout aussi certainement, beaucoup moins.
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» Article initialement publié sur Blogging The News (commentaires à lire /-)
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