OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les erreurs des manifs d’automne : une frappe molle http://owni.fr/2010/11/09/les-erreurs-des-manifs-dautomne-une-frappe-molle/ http://owni.fr/2010/11/09/les-erreurs-des-manifs-dautomne-une-frappe-molle/#comments Tue, 09 Nov 2010 14:23:57 +0000 Seb Musset http://owni.fr/?p=37146 Malgré les trombes d’eaux, malgré une matinée à courir après un bus de la RATP qui n’est jamais arrivé, j’y suis retourné. A 14h30, je remonte le boulevard Beaumarchais. La manifestation est censée avoir commencer. Hormis la sono hurlante, résonnant deux fois plus faute de corps pour amortir le bruit, c’est tragiquement calme. Au point que la circulation des voitures n’est pas encore coupée. Fidèle à son gouvernement, et profondément solidaire avec les travailleurs, un chauffeur de taxi passe en force avec sa berline climatisée au travers d’un groupe de quelques syndicalistes à leur point de ralliement.

Une dame : va lui péter la gueule, Raymond !

Il est déjà loin.

Il pleut de plus moche. N’allons pas faire notre Beauvau, mais force est de constater que les cortèges Place de La République sont plutôt clairsemés. Les caméras de télévision, discrètes aux précédentes mobilisations, sont venues en force. Des équipes emballées dans des K-Way géants, comme s’ils traversaient une tribu sauvage d’Amazonie, capturent en HD toutes les gueules rincées qui passent. Comme si nous étions trop nombreux, le cortège est divisé en deux parcours.

Requiem pour les retraites le 6 novembre

Avec sa désastreuse météo de droite, sa visibilité à trois mètres, sa procession de parapluie (que je prends systématiquement dans la tronche) et malgré l’entrainante prestation d’HK et les Saltimbanks, la mobilisation ressemble à un requiem pour les retraites.

Leaders non charismatiques, slogans au marteau, aucune participation des intellectuels français, manque d’incarnation [1] : quel gâchis de bonnes volontés après deux mois d’une superbe et poignante mobilisation où nous avons croisé tant de gens exceptionnels, redonnant confiance (jusqu’aux autres pays) dans la résistance citoyenne.

La stratégie syndicale laisse perplexe. Pourquoi tant de mobilisations si proches et pas de grève générale, si ce n’est pour faire de l’accompagnement de réforme ? Pas même un referendum d’initiative populaire, comme pour La Poste. La tête syndicale a lubrifié la révolte, faisant piétiner sa base jusqu’à tant que le gouvernement puisse la prendre au piège de « la mobilisation en baisse » et que les dociles caméras puissent faire ces images que les gouvernements étrangers attendent pour déclarer que « regardez, nous devons nous réformer comme en France ! Là-bas plus personne ne va contre le progrès ».

Mais la faute est aussi en nous. Malgré notre « soutien populaire » à ce mouvement, nous avons laissé faire les autres. J’ai beaucoup entendu parler de Mai 68 depuis deux mois, comme s’il s’agissait d’une formule magique, d’une marque déposée. Ce mouvement n’a rien à voir avec 68, et aucun mouvement ne renversera quoi que ce soit, sans la contribution active de ceux qui le soutiennent virtuellement. Tandis qu’une poignée d’irréductibles bloquait les raffineries, nous continuions à pointer à nos boulots, soulagés qu’ils fassent le travail (et prennent le risque) du non-travail à notre place, réjouis du boxon tant qu’il ne nous affectait pas trop. Et puis, quand même, un peu inquiet à l’approche des congés que notre week-end prolongé chez Mamy soit un peu gâché et que notre confort moderne soit remis en question quelques journées, nous avons, à l’unisson de notre « méchant » gouvernement, sonné la fin de la récré.

Nous avons abandonné nos combattants en rase campagne.

Incarner un mouvement

La force d’inertie de la clique mafieuse au pouvoir, exige plus pour être déstabilisée que les renoncements quotidiens de ceux qui s’en plaignent mollement. Ces deux mois de mobilisation sont la preuve par l’exemple qu’il faut saisir ce cadre que nous offrent les syndicats mais vite le déborder.

Pourtant pour reprendre le cri de guerre des derniers courageux militants sous parapluie du jour gris, oui « ça va péter », un jour, il ne peut en être autrement. Mais il va falloir oser taper où ça fait mal, et ne pas attendre que nous soyons réduits à l’état de loques sociales, affamés, édentés avec une espérance de vie de 52 ans :

  • incarner ce mouvement. Il faut plus de leaders à la Xavier Mathieu en tête de pont, et moins de followers à la François Chérèque face à Chabot pour servir la soupe à Parisot. Nous avons besoin de raconter des histoires, des situations, des portraits. Créer du feuilleton, du « storytelling » comme ils disent là-haut. Il n’y aura même pas à forcer le trait tant les drames et les injustices s’accumulent.
  • des manifestations moins nombreuses, mais plus massives, avec une grosse démonstration de force centralisée sur Paris, dirigée vers les banques, les sièges, les lieux de pouvoir, les beaux quartiers (la manifestation dans le VIIIe avait une autre ambiance, un poil plus électrique, que les classiques défilés Répu-Nation). Le mouvement d’octobre 2010 nous aura confirmé une chose : le pouvoir tremble plus que jamais devant la rue, son mutisme au pic de la contestation était du jamais vu en trois ans.
  • le blocage de l’économie. Un mois de serrage de ceinture vaut bien la sauvegarde d’un pays et de ses générations. Et puis ça fera des souvenirs « de guerre » à raconter pour les trois prochaines générations.

Attendre 2012 ne suffira pas

Enfin bon, je m’emporte. Mais j’avais un peu le moral à zéro en rentrant hier de la manifestation parisienne, trempé de la tête au pied, alors qu’au buzzomètre du jour, je réalisai que la vidéo de la femme d’un Ministre raciste déboulant, glamour, en robe pigeonnante pour une sauterie élyséenne à la gloire du grand démocrate chinois Hu Jintao, pétait tous les scores.

Que faire maintenant ? Attendre 2012, comme je l’entends partout ? Bien sûr, mais cela ne suffit pas. Les mêmes effets reproduiront mais les causes. Si l’on reste sur la chaussée à regarder les autres passer, les mêmes gouvernements passeront et passeront encore, poursuivant leur œuvre de destruction.

Va falloir rejoindre la danse et se mêler de ces choses dont ils ne souhaitent pas que l’on s’occupe et qui, pourtant, nous affectent bien plus qu’eux.

Si cela peut vous rassurer: avec l’énergumène au pouvoir, je suis persuadé que nous aurons, avant 2012, à remontrer de quel bois nous nous chauffons.

Billet publié initialement sur le blog de Séb Musset sous le titre 6 novembre, un jour gris.

FlickR CC Grégoire Lannoy ; François L ; blog c politic.

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Les manifs d’automne: des slogans sans ambition http://owni.fr/2010/11/09/les-erreurs-des-manifs-dautomne-des-slogans-sans-ambition/ http://owni.fr/2010/11/09/les-erreurs-des-manifs-dautomne-des-slogans-sans-ambition/#comments Tue, 09 Nov 2010 14:23:54 +0000 Thierry Crouzet http://owni.fr/?p=37134 Quel gâchis ! Ils descendent dans la rue par millions pour deux ans de retraite, pour être mieux traités en tant que salariés et pour que rien ne change. Ils demandent ni plus ni moins que les privilégiés d’aujourd’hui, ceux qui les asservissent, restent les privilégiés de demain, et soient juste un peu plus gentils avec eux.

Ils descendent dans la rue avec en tête un attirail idéologique qui date du XIXe siècle. Ils me font penser aux esclaves qui, il y a bien longtemps, demandaient des repas plus copieux mais ne remettaient pas en cause leur statut d’esclave, encore moins le statut d’esclavagiste.

La redistribution des richesses : un concept insuffisant

La gauche est dans un état de catatonie intellectuelle sidérant. Nous avons en fait deux camps qui s’opposent dont il est difficile de savoir lequel est le plus conservateur. Pourtant les idées progressistes existent et commencent à être plutôt bien argumentées.

1. Il ne faut pas descendre dans la rue pour demander deux ans de retraite en plus mais pour le droit de ne pas travailler à tout âge de la vie.
2. Il ne faut pas descendre dans la rue pour défendre le salariat mais pour exiger sa réinvention, un saut qui serait au moins aussi important que l’abandon de l’esclavage.

Avez-vous entendu clamer ce genre de choses ? On parle de redistribuer les richesses ? De prendre aux riches ? On reste dans la pure logique marxiste. Mais les hommes n’ont pas cessé de penser depuis.

Dans un petit essai qui s’adresse dans sa version actuelle aux matheux et aux économistes, La théorie relative de la monnaie, Stéphane Laborde nous fournit un attirail intellectuel qui peut nous aider à voir la société suivant une nouvelle perspective qu’Olivier Auber qualifie de numérique.

La conséquence : nous devons descendre par millions dans les rues pour exiger l’instauration du dividende universel. Ce combat sera international et non seulement franco-français (ce qui prouve l’inanité du mouvement actuel).

Le dividende universel est une somme d’argent versée tous les mois à chacun des habitants d’une zone économique. Une fois que vous le touchez, vous pouvez prendre votre retraite quand vous le voulez car vous recevez de quoi vous loger et vous nourrir.

En tant que salarié, vous n’êtes plus en situation perpétuelle de danger. Vous avez le pouvoir de dire merde à vos employeurs comme Noam le proclame dans La tune dans le caniveau.

Si on vous propose un travail dégradant, vous pouvez le refuser. Du coup, tous les petits boulots aujourd’hui mal payés et néanmoins nécessaires devraient être grandement revalorisés. En parallèle, les boulots plus prestigieux que tout le monde accepte avec plaisir seront dévalorisés.

La fabrication d’argent : bug central de la société

Nous voyons comment l’instauration du dividende universel changerait les rapports de force dans la société. Le salarié devient maître de sa vie. Le patron, dont il ne s’agit pas de remettre en cause l’existence, perdrait au passage son fouet. Il pourrait toujours proposer de belles carottes, car tout salaire s’ajoute au dividende universel, mais il n’aurait plus à sa disposition ses anciens moyens de pression. En face de lui se dresseraient enfin des hommes et des femmes libres.

Entendez-vous parler du dividende universel dans les cortèges de manifestants ? Non, on clame des slogans qui auraient pu être écrits il y a deux siècles. Personne ne remet en question un des bugs centraux de nos sociétés : le pouvoir de créer de l’argent ex nihilo, un pouvoir que les banquiers s’arrogent et dont ils abusent continuellement, injectant chaque année dans l’économie environ 5 % de masse monétaire en plus.

Pendant que vous avez travaillé, ils ont fabriqué l’argent pour vous payer. Nous avons le devoir de nous élever contre ce privilège dévolu à quelques milliers de personnes de par le monde comme jadis nos ancêtres se sont élevés contre la noblesse de robe, contre les esclavagistes, contre les hommes qui asservissaient leurs femmes.

Il ne s’agit pas de prendre l’argent des riches ou d’instaurer de nouvelles taxes, mais d’interdire cette petite magouille financière qui aujourd’hui régit l’économie. Utopique. Impossible. Croyez-vous que si des millions de personnes descendaient en même temps dans les rues de toutes les villes occidentales les hommes politiques resteraient sourds à leurs cris ? Non, car cette fois le combat sera légitime. Les manifestants ne seront plus seulement dans la contestation mais aussi dans la proposition.

Ils exigeront que les 5 % d’argent injecté annuellement dans l’économie le soient par chacun de nous. Plutôt que quelques nobles fabriquent la monnaie de manière centralisée et opaque, nous la fabriquerons tous de manière distribuée et décentralisée. Chaque mois nous verrons notre compte crédité d’une fraction des 5 % (la somme totale divisée par le nombre d’habitants). C’est ainsi que sera financé le dividende universel, en supprimant un simple privilège dont ne bénéficient qu’une poignée d’êtres humains.

Ces privilégiés se défendront-ils jusqu’à la mort ? Oui, au début. Il y a aura des pots cassés. Je ne vois pas comment cela pourrait être évité. Je vois mal les argentiers nous remettre de but en blanc les clés de leurs imprimeries à fausse monnaie. Mais devant la pression sociale, devant la prise de conscience généralisée de ce mécanisme tout simple de la création monétaire, ils n’auront d’autres choix que de s’incliner, comme tous les privilégiés se sont inclinés au fil des luttes sociales.
Ils pourront bien sûr se réinventer. Il n’est pas question de supprimer les banques mais de les ramener à un état où elles ne peuvent en gros prêter que l’argent dont elles disposent effectivement. Elles conserveront leur rôle de financement. Elles devront amasser de l’argent et le réinvestir dans des entreprises, mais elles ne gagneront qu’une part des bénéfices réels. Il y aura toujours des pauvres et des riches dans cette société. Mais les pauvres seront plus riches, les riches plus pauvres.

Une génération pour changer la donne

Alors moi aussi je descendrai dans la rue pour me battre contre un des fléaux de notre société. Aujourd’hui une fabuleuse envie de changement est dilapidée à mauvais escient. Nous devons avoir l’ambition de réclamer ce qui a priori semble utopique. On tentera de nous discréditer au nom de cette utopie alors que nous ne voulons que couper un simple privilège.
Quand est-ce que la prise de conscience sera suffisamment étendue pour atteindre le point de bascule ? Je n’en sais rien mais un texte comme celui de Stéphane Laborde devrait donner des éléments de réflexion à toute une génération d’économistes et d’intellectuels. Nous allons nous armer pour répondre à toutes les objections.

Quand est-ce qu’un peu partout dans le monde les leaders politiques s’empareront de cette idée ? Peut-être jamais. Un leader politique se trouve au sommet de la structure pyramidale de son parti. C’est un puissant parmi les siens. Les puissants du monde financier ne sont jamais éloignés de lui, ne serait-ce que pour financer ses campagnes. Ils ont bien compris que peu importait qui était au pouvoir du moment que leur privilège n’était pas questionné. Mettons les manifestants d’aujourd’hui au pouvoir, ces manifestants privés d’idées neuves, nous les verrons vite imiter ceux qu’ils veulent déloger.

Cette situation est-elle dramatique ? Je crois au contraire que c’est une grande chance. Le mouvement social français de ces dernières semaines montre que la force revendicatrice sourd de toute part. Les partis et les syndicats fixent les dates des manifestations mais ils ne sont pas au contrôle. Le mouvement émerge des citoyens en état de révolte. C’est une manifestation primitive du Cinquième pouvoir.

Le problème étant de remettre en cause une des structures pyramidales qui régit notre société, celle de la finance, il est logique que l’opposition s’organise de manière plus diffuse, c’est-à-dire en réseau. Et ce n’est pas pour rien si Stéphane Laborde exige la libération du code de la monnaie. Il préconise que tout le monde ait accès au code de la création monétaire tout comme Richard Stallman préconise le libre accès au code des programmes informatiques.
Leurs combats sont parallèles et rejoignent ma propre opposition aux structures pyramidales qui n’ont plus de sens et ne font que compliquer la société, en grippant les rouages et nous mettant en incapacité de réagir à la complexification du monde. Nous touchons au nœud de nos problèmes. Nombre des anciennes structures de pouvoir, par exemple celle des banquiers ou celle des éditeurs de codes mais aussi des éditeurs de connaissances ou de culture, sont une entrave au développement de l’intelligence collective, intelligence plus que jamais nécessaire lorsque notre monde fait face à des problèmes globaux.

PS : À l’initiative de Geneviève Morand, j’aurai le plaisir de passer à Genève la journée du 9 novembre en compagnie de Richard Stallman et Stéphane Laborde. De 10 h à 17 h, nous serons à La Muse pour un brainstorming ouvert au public. À 18 h, nous donnerons une conférence à l’Université de Genève.


Billet initialement publié sur le blog de Thierry Crouzet sous le titre Ils manifestent pour rien.

Photo FlickR CC William Hamon ; escalepade ; Barry Arnson.

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Les retraites: un problème sans solution? http://owni.fr/2010/10/26/les-retraites-un-probleme-sans-solution/ http://owni.fr/2010/10/26/les-retraites-un-probleme-sans-solution/#comments Tue, 26 Oct 2010 08:56:19 +0000 Alexandre Delaigue (Econoclaste) http://owni.fr/?p=33593 Autour d’une table. Sur celle-ci, les reliefs d’un dîner. En bruit de fond, on entend un air de musique interrompu parfois par des bruits de vaisselle en provenance de la cuisine voisine.

Belle-mère : Mon gendre, j’ai une question à vous poser.

Gendre (un peu inquiet) : Je vous écoute, madame. De quoi s’agit-il?

Belle-mère : Voilà. Il y a quelques jours, mon mari et moi recevions ici quelques amis et collègues. Vous connaissez mon mari; bien évidemment, ils ont passé la soirée à discuter politique. Je n’ai que peu de goût dans ce domaine, et en général n’en parle pas. Mais là, à un moment, est arrivée la question des retraites. Un sujet qui, vous le savez, va très bientôt nous concerner. Je dois vous avouer, à ma grande honte, que je ne me suis guère préoccupé de cette question; mais la conversation m’a inquiétée. Je n’ai rien compris, mais tous nos amis semblaient persuadés d’un problème; et tous avaient des propositions très différentes pour le résoudre, et se sont vivement opposés. Après cela, je me trouve dans la plus grande confusion. Alors je me suis dit que peut-être, vous pourriez m’éclairer. Qu’est-ce exactement que ce problème des retraites?

Gendre (visiblement soulagé) : Cela peut se comprendre facilement. Dans tous les pays, il y a des gens qui sont en âge de travailler, et des gens qui ne sont pas en âge de travailler, soit trop jeunes, soit trop âgés. Pour simplifier, on dit que les gens d’âge compris entre 15 et 64 ans sont en âge de travailler, et pas les autres. On appelle ratio de dépendance (désolé – je sais que vous n’aimez pas le jargon) le rapport entre le nombre de personnes en âge de travailler et les autres. Or, sous l’effet de la baisse de la natalité dans nos pays, et surtout de la hausse de l’espérance de vie, ce ratio de dépendance est appelé à considérablement diminuer au cours des 40-50 prochaines années : les populations vont avoir tendance à diminuer, et à vieillir. Aujourd’hui, il est d’environ 5 dans ces pays, ce qui signifie qu’il y a 5 personnes en âge de travailler pour une personne inactive. Étant données les tendances actuelles, il pourrait passer à 2,5 vers 2050; ce qui signifie que chaque personne en âge de travailler aura en moyenne, à sa charge, deux fois plus de gens qu’aujourd’hui.

Belle-mère : Cela ne semble pas un si grand changement…

Gendre : Détrompez-vous. Il y a quelques années, l’ONU a calculé « l’équivalent immigration » du déficit démographique dans différents pays. Pour maintenir la population française constante entre 1995 et 2015, ont-ils calculé, il faudrait d’ici là accueillir 1,5 millions d’immigrants actifs. Cela ne fait pas beaucoup : environ 27 000 migrants par an, soit moins que l’immigration française actuelle. Mais maintenir la population ne prend en compte que l’effet de la natalité réduite; pour maintenir le ratio de dépendance, c’est-à-dire compenser le fait que les personnes vivent plus âgées, il faudrait accueillir d’ici 2050 94 millions d’immigrants, soit 1,7 millions de personnes par an. La population française passerait alors à 160 millions de personnes. A titre de comparaison, il y a environ 800 000 naissances par an en France. Vous voyez que de tels chiffres sont considérables : il n’est ni possible, ni souhaitable, que la population française augmente dans de telles proportions.

Belle-mère : mais alors, concrètement, qu’est-ce que cela signifie?

Gendre : cela signifie que les retraites vont coûter de plus en plus cher. Or elles sont prélevées sur les revenus des actifs sous forme de cotisations; ceux- ci vont donc faire l’objet d’un prélèvement qui va s’élever. Ou alors, ce sont les pensions de retraite qui baisseront. Il y a un effet qui vient mitiger cela, c’est celui de la croissance économique; si l’on reste sur le rythme du 20ème siècle, le revenu par habitant a augmenté d’environ 2% par an. A ce rythme, les revenus sont pratiquement multipliés par trois en 50 ans. Mais utiliser cette croissance pour financer les retraites risque de poser quelques problèmes.

Belle-mère : lesquels, exactement?

Gendre : déjà, il n’est pas certain que cela suffise. Les coûts du vieillissement de la population ne se limitent pas au coût des retraites; il faut aussi compter le coût accru du système de santé, car les personnes âgées consomment plus de soins, et les soins médicaux coûtent de plus en plus cher. Par ailleurs, nous ne savons pas du tout si la croissance future sera la même que celle du siècle dernier. Il n’est pas impossible que le vieillissement de la population réduise cette croissance, pour diverses raisons. D’abord, parce que les personnes en âge de travailler seront moins incitées à le faire si elles constatent qu’une part croissante de leur salaire est absorbée par les prélèvements de retraite. Mais aussi parce que la croissance implique un rythme relativement rapide de changements techniques. Regardez vos parents, comme ils ont du mal à se faire à l’usage de l’ordinateur. Si une grande partie de la population connaît des difficultés pour s’adapter aux nouvelles techniques, cela peut ralentir la croissance.

Belle-mère : excusez-moi, mais pourquoi ne devrait-on ponctionner que les salaires des personnes qui travaillent? J’entends à la radio le petit jeune, vous savez, le facteur…

Gendre : Olivier Besancenot?

Belle-mère : oui, c’est cela. Donc hier, je l’ai entendu à la radio, et il disait qu’il faudrait financer les retraites en taxant les profits, qu’il dit très élevés, des entreprises. N’est-ce pas une bonne idée?

Gendre : hélas, madame, cela ne change pas la situation. Les entreprises font leurs calculs sur la base de leur profit après impôts. Pour maintenir ceux-ci avec des impôts accrus, elles seraient amenées à réduire les salaires de leurs employés : ceux-ci se retrouveraient donc dans la même situation qu’avec des impôts accrus. Peut-être que les taux de profits des entreprises pourraient, toutefois, baisser; mais cela aurait des effets sur la croissance, en réduisant les revenus issus de l’activité entrepreneuriale, et donc en dissuadant celle-ci. Quoi que l’on fasse, on en revient au même problème : ceux qui travaillent devront supporter une charge accrue.

Belle-mère : mais… il y a beaucoup de gens qui ne travaillent pas, beaucoup de chômeurs. Si tous ces gens trouvaient du travail, cela arrangerait les choses, non?

Gendre : évidemment. Mais n’oubliez pas que le problème est avant tout un problème de répartition de la population entre ceux qui sont en âge de travailler et les autres; même si tous ceux qui sont en âge de travailler le font, le problème subsiste.

Belle-mère : si je comprends bien, vous êtes en train d’expliquer que les retraites sont compromises; pensez-vous que mon mari et moi devrions mettre plus d’argent de côté? Et de façon générale, que tout le monde devrait en faire autant?

Gendre : vous touchez là l’une des questions les plus récurrentes sur les retraites. Il existe deux façons de payer pour les retraites, que l’on appelle répartition et capitalisation. La répartition, c’est le système qui existe actuellement en France : on prélève des cotisations sur ceux qui travaillent pour verser des pensions aux retraités. La capitalisation, de son côté, consiste à faire en sorte que les gens constituent un capital au long de leur vie active, et consomment celui-ci lorsqu’ils sont en retraite. Pour cela, on voit apparaître différents mécanismes, facultatifs ou obligatoires, et faisant parfois l’objet d’incitations fiscales. Vous avez peut-être entendu parler des fonds de pension?

Belle-mère : eh bien, certes… je connais le mot. L’autre soir, l’un des amis de mon mari semblait dire que c’était une catastrophe que cela n’existe pas en France. Mais à part cela…

Gendre : les fonds de pension sont des organismes qui gèrent l’épargne-retraite des gens, dans les pays ou les retraites sont fondées sur la capitalisation. De ce fait, ils disposent de masses de capitaux importantes, qu’ils vont ensuite placer sur les marchés financiers. Et effectivement, certains recommandent, puisque les retraites par répartition sont soumises à des difficultés, d’adopter en complément un système de retraites par capitalisation, voire de remplacer l’actuel système par un système de fonds de pension. Mais il y a plusieurs raisons d’être sceptique. Premièrement, la transition d’un système par répartition à un système par capitalisation est difficile : il faut que pendant la transition, les actifs paient à la fois les pensions de l’ancien système et se constituent un capital : on retrouve le même problème qu’avant, les actifs doivent payer. Deuxièmement, la différence entre capitalisation et répartition n’est pas si importante qu’on le pense. Pour que la capitalisation fonctionne, il faut qu’au moment ou les retraités dépensent le patrimoine qu’ils ont accumulé, il y ait des actifs qui souhaitent le leur acheter… Au total, C’est donc toujours à un prélèvement sur le revenu des actifs que l’on revient.

Belle-mère : oui, mais mettre de l’argent de côté pendant plusieurs années rapporte, ce que ne fait pas un argent qui va directement aux retraités. N’y a- t-il pas là une différence?

Gendre : Oui, les revenus épargnés rapportent des intérêts. Mais dans un système par répartition aussi, vous touchez plus que vous n’avez cotisé, du fait de la croissance économique. Vous recevez votre pension au moment ou les salaires des actifs ont augmenté, du fait de celle-ci. Ce qui donne d’ailleurs lieu à un résultat central de l’économie des retraites : si les taux d’intérêt sont égaux au taux de croissance, capitalisation et répartition sont exactement équivalents. Si les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance, c’est la capitalisation qui a l’avantage; si la croissance est supérieure aux taux d’intérêt, c’est la répartition qui a l’avantage.

Belle-mère (semble un peu distraite) : Oui, heu… Et donc maintenant, qu’est- ce qui est le mieux?

Gendre : jusqu’à la fin des années 70, c’était la répartition; depuis, le rendement de la capitalisation est devenu supérieur. Cela fait partie des arguments favorables à la capitalisation; beaucoup se disent que ce serait une meilleure affaire pour les retraités que le système actuel. Mais cela ne résout pas la question de la transition d’un système à l’autre. Et en pratique, ce n’est probablement pas la raison pour laquelle existe une telle pression favorable à la capitalisation. La vraie raison, c’est qu’un système de fonds de pension « à la française » constituerait une considérable aubaine pour l’industrie financière en France (banques et compagnies d’assurance). Cela leur offrirait d’importantes quantités de capitaux à gérer, et sans grande difficulté, puisque ces placements feraient l’objet d’avantages fiscaux. Après tout, si aujourd’hui quelqu’un veut épargner pour sa retraite, strictement rien ne l’empêche de le faire : il doit simplement payer des impôts. On peut trouver de très bonnes raisons pour réduire la fiscalité qui pèse sur l’épargne; mais il n’y a aucune raison de favoriser spécifiquement l’épargne gérée par de grandes institutions financières, par rapport à celle de l’individu qui décide d’acheter des titres en propre. Sauf bien entendu si l’on a une autre idée derrière la tête.

Belle-mère (semble totalement perdue) : Quelle idée?

Gendre : l’idée de verrouiller le capital des grandes entreprises françaises en faisant en sorte qu’elles soient au bout du compte contrôlées par des fonds de pension nationaux que l’on incite à investir dans ces entreprises. Ce qui permet d’éviter que des étrangers ne prennent le contrôle de ces entreprises, et que celles-ci restent les chasses gardées de nos classes dirigeantes. C’est un objectif bien éloigné de la sauvegarde des personnes âgées, vous conviendrez.

Belle-mère (bâille) : C’est très intéressant ce que vous dites… Mais alors, quelle est la solution au problème des retraites?

Gendre : il n’y en a pas.

Belle-mère : Vraiment pas?

Gendre : Non. Il n’y a pas de politique qui permettrait de résoudre le problème de façon magique. A terme, il faudra faire payer un peu plus les cotisants, réduire un peu les pensions de retraite, peut-être combiner cela avec une augmentation de l’âge de la retraite. Sous quelle forme? Nous ne pouvons pas le savoir aujourd’hui. Il faudra probablement s’adapter au cours du temps, avec des réformes mises en oeuvre au fur et à mesure, qui dépendront des équilibres politiques et des circonstances à venir. Pour l’instant on se contente de faire quelques économies en réduisant à terme les pensions des retraités, en augmentant un peu la durée de cotisation et en ramenant certains systèmes plus avantageux vers la moyenne générale; mais si cela va trop loin dans le sens d’une réduction des revenus des retraités, les gens s’adapteront en épargnant un peu plus, ou accepteront l’idée de vivre plus chichement lorsqu’ils cessent de travailler; ou, encore, les personnes âgées profiteront de leur nombre pour exiger des gouvernements des pensions plus confortables. Pour faire rapide, nous ne savons pas ce qui va se passer, et les diverses réformes gouvernementales n’y changeront pas grand-chose.

Belle-mère (semble penser à autre chose) : Bon, bien tout cela est très intéressant. Je ne suis pas sûre d’avoir tout compris…

Gendre : Je peux vous réexpliquer certaines choses, si vous le souhaitez.

Belle-mère : Non merci! En tout cas je me sentirai moins désemparée la prochaine fois que mon mari et ses amis parleront de ce sujet. Vous savez, mon mari apprécie toujours vos explications. Mais…

Gendre : Oui?

Belle-mère : Quand même, ne pensez-vous pas que si la jeune génération d’aujourd’hui avait plus d’enfants, cela arrangerait les choses?

Gendre : Extrêmement peu. Je vous l’ai dit, c’est un problème d’allongement de la durée de vie beaucoup plus que de natalité, et la natalité théoriquement nécessaire pour maintenir la situation démographique est à la fois irréaliste et peu souhaitable.

Belle-mère : Quand même, je continue de penser que si les jeunes d’aujourd’hui avaient plus d’enfants… D’ailleurs, je me disais que vous…

Gendre (se lève brusquement) : Oh, mais nous discutons, et pendant ce temps, votre fille est seule à ranger la cuisine. Je vais aller l’aider un peu.

Le gendre quitte la pièce précipitamment. La belle mère reste seule perdue dans ses pensées. Puis elle se lève et à son tour se dirige vers la cuisine.

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Publié sur le blog d’éconoclaste, extrait du livre « Sexe, drogue… et économie », Alexandre Delaigue & Stéphane Ménia, Pearson, 2008

crédits photos Flick’r Vetustense et Spacelion

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Le mépris thatchérien de Sarkozy face aux manifs http://owni.fr/2010/10/20/le-mepris-thatcherien-de-sarkozy-face-aux-manifs/ http://owni.fr/2010/10/20/le-mepris-thatcherien-de-sarkozy-face-aux-manifs/#comments Wed, 20 Oct 2010 11:12:49 +0000 Vogelsong http://owni.fr/?p=32267 Titre original : Nicolas Sarkozy et les retraites, l’instant Thatcher ?

« La guerre c’est la paix » G.Orwell – 1984

Que pèse la survie du système de répartition dans le combat qui l’oppose à la volonté forcenée de conserver le pouvoir ? Ce Graal politique, objet de toutes les tactiques, et nécessitant la mise sous tension du pays dans son ensemble. La crispation sur les retraites illustre parfaitement le basculement des termes socio-économiques qui régissent l’espace public. La France avec 30 ans de décalage vit un instant Thatcher infligé par une droite vidée de sa substance républicaine, ne répondant plus que par réflexes conditionnés au péril du peuple. Celui qui renâcle à passer sous la toise du modèle global de la compétition économique totale. Celui qui bat le pavé, harnaché de pancartes, grimé de slogans, qui quémande, à force de blocages et en dissipant une énergie infinie, l’ouverture d’un dialogue. Un simple dialogue.

La France de 2010, après trois années de complète apnée, mais aussi d’oubli d’elle-même se retrouve. Un peu. Non pas pour marcher vers le progrès, mais pour endiguer le mépris et le cynisme. Dans une épreuve de force asymétrique. Où il n’y a rien à gagner, juste s’épargner l’inconcevable. Rien à gagner, à part, peut être l’opportunité d’exister.

L’instant Thatcher

En 1984, les mineurs anglais commençaient un conflit qui finira, l’année suivante, brisé sur l’inflexibilité de la Dame de fer. La même année, étrangement, la droite française organisait l’une des plus grandes manifestations du pays. En réponse à la loi Savary, tout ce qu’il y a de conservateur en France faisait débonder les boulevards parisiens en passant la barre du million de personnes.

Face à face durant les grandes grèves des mineurs de 1984-1985.

N. Sarkozy n’est pas M. Thatcher. La France n’est pas le Royaume-Uni, pourtant sur quelques points, apparaissent des similitudes. On observe de manière saillante à chaque fois la volonté d’humilier l’autre, les autres. En France N.Sarkozy en fait une question politique, une condition sine qua non pour souder son camp en vue des présidentielles de 2012. La question économique agitée comme prétexte, celle de l’obligation de réformer s’avère finalement accessoire. Bien que sur toutes les ondes, les dictaphones de l’UMP tournent en boucle sur l’impérieuse nécessité du projet. De ce projet. Il n’y a aucune alternative, aucun dialogue.

Ce n’est pas sans rappeler le leitmotiv thatchérien, le TINA préalable à toute décision politique. L. M. Chatel par exemple déclarait sentencieux et définitif « la réforme des retraites n’est pas une option ». En substance, tout ce que fait le gouvernement n’est ni un choix, ni une alternative, ni le fruit d’une vision politique, mais la seule et unique solution à un problème donné. Quel qu’il soit. L’annihilation du débat, le blanc seing technocratique comme seul horizon politique. Pourtant loin de la neutralité présupposée, le projet de réforme s’inscrit dans une dynamique de libéralisation économique. Option dogmatique que beaucoup de commentateurs dénient à N. Sarkozy.

Le mouvement immobile du pouvoir

L’affirmation que F. Fillon Premier ministre se situe dans la mouvance politique de la droite sociale suffirait certainement à englober l’absurdité de la situation. Tout devient possible avec le langage. On substitue la vérité par une affirmation que l’on renomme vérité. On fabrique des artefacts que l’on jette quand ils ne servent plus. Le 18 octobre 2010, le ministre des Transports déclarait qu’il n’y avait pas de pénurie d’hydrocarbures. De manière débonnaire, avec la sûreté qui sied à la vérité profonde. Alors que dans le monde physique des dizaines stations-services versaient leurs dernières gouttes d’essences.

Photo prise lors de la manifestation du 16 octobre 2010.

Mêmes affabulations dans les rapports chiffrés du taux de grévistes. Une communication bien planifiée dans la perspective de saper les volontés. Briser la conscience commune de participer à la même action. Dans une unité qui s’affranchit de l’espace pour atteindre un objet collectif. Face à cela, on essaie de déployer une rationalité numérique. La froide sentence qui quantifie l’échec. À la seule condition que les trains roulent. Mais la poisse, ils ne roulent pas. Ou très mal.

L’opinion, construction éthérée nécessaire au consentement, trahit ses maîtres. Jusqu’en mai 2010, le gouvernement s’appuyait sur le concept pour vendre son projet. Depuis, plus aucune référence. Une géométrie variable que l’on constate aussi sur l’attitude vis-à-vis de la mobilisation des lycéens. Pas assez matures pour montrer leur désaccord dans la rue, mais assez pour devenir auto-entrepreneurs. Pas assez responsables pour s’occuper de la retraite, mais à 13 ans assez âgés pour être pénalement responsables.

Les mineurs anglais ont mis un an à crever. Sans rien obtenir, mais surtout en perdant toute crédibilité. Plus que le projet de fermeture des mines, M. Thatcher* a humilié un monde. Terrassant l’infâme ennemie ouvriériste. Le mouvement social en France ne s’éternisera pas, mais la même tournure d’esprit habite la droite. Éradiquer la contestation, la mettre à genou, pour démontrer à la manière « gramscienne »* que le nombre ne suffit pas, seule la volonté l’emporte.

A. Minc, le petit mandarin du Tout-Paris moque les lycéens qui manifestent, les grévistes privilégiés qui s’accrochent à leurs privilèges. Un mépris affiché, jeté à la face de ceux qui luttent. Et qui luttent pour eux, mais aussi et surtout pour les autres. Ce qui manque à A. Minc, ainsi qu’à une partie de la droite c’est la faculté d’intégrer quelques données simples. Le seul moteur des décisions humaines n’est pas la cupidités. La société est là, les personnes ne sont pas des atomes errants à la recherche exclusive d’une satisfaction égotique. Humains, ils tissent des relations, des affects qui dépasse le calcul rationnel profitable. Choses que la désaffection libérale a pensé annihiler. La mauvaise nouvelle d’octobre 2010, c’est que la société existe toujours.

*M. Thatcher le 31.10.1987 « And, you know, there is no such thing as society. There are individual men and women, and there are families. » / « Et vous savez qu’il n’existe rien de tel que la société. Il y a des individus masculins et féminins et il y a des familles. »

Illustrations : Flickr CC Dr Case, Subterranean Tourist Board, Jan Slangen;

Article publié à l’origine sur le blog Piratages.

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Mouvement social : un #19oct livebloggé, cartographié et scandé ! http://owni.fr/2010/10/19/mouvement-social-un-19oct-liveblogge-cartographie-et-scande/ http://owni.fr/2010/10/19/mouvement-social-un-19oct-liveblogge-cartographie-et-scande/#comments Tue, 19 Oct 2010 09:22:49 +0000 Admin http://owni.fr/?p=32098 Pas de mettre ruban, de jauge de réservoir ou de calculatrice pour ce 19 octobre : OWNI choisi les mots et les couleurs.

Tout au long de la journée, la rédaction du site scannera les réseaux et ses sources pour faire remonter les infos afin de répondre aux questions clés de ce mouvement :

  • Le mouvement se radicalise-t-il ? Lancée le 12 octobre, notre carte des blocages à travers la France et son formulaire sont toujours actifs. Nous la mettrons à jour au fil de la journée à mesure des manifestations, opérations escargots, blocages de facs et autres initiatives syndicales ou spontanées à travers la France.
  • Le mouvement s’essoufle-t-il ? En utilisant l’outil de publication Storify (ci-dessous), la rédaction récupérera tous les tweets et photos marqués du hashtag #19oct pour liveblogger la journée : réactions, comptages, ambiance… Au fil des cortèges, nous ajouterons au flux les déclarations importantes sur le mouvement ou la réforme des retraites (quand elles n’auront pas déjà été mises en avant sur les réseaux) afin d’établir un déroulé complet du mouvement, écumé des « petites phrases ».
  • Enfin, à tous ceux qui croient que le gouvernement a réglé le problème de la pénibilité, Sabine Blanc répond par un décryptage médical édifiant (mis en image par Marion Boucharlat) sur les généreux seuil de 10 et 20% de handicaps que propose le gouvernement : Retraites : maladies, accidents, quel taux pour quel droit ?

Que vous soyez dans la rue ou devant un ordinateur, chacun de vous peut participer à notre décryptage. Un seul mot d’ordre : manifestez-vous !

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Retraite: accident du travail, maladie professionnelle, quel droit ? http://owni.fr/2010/10/19/retraite-accident-du-travail-maladie-professionnelle-penibilite/ http://owni.fr/2010/10/19/retraite-accident-du-travail-maladie-professionnelle-penibilite/#comments Tue, 19 Oct 2010 08:50:51 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=31529 Selon le texte de loi soutenu par la majorité, pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein à 60 ans, un travailleur devra présenter un taux d’incapacité permanente partielle (IP) supérieur à 20%. Un amendement du gouvernement dispose que l’assuré pourra y prétendre aussi entre 10 et 20% sous réserve « que l’assuré ait été exposé, pendant un nombre d’années déterminé par décret, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4121-3-1 du code du travail. » En l’occurrence, ces facteurs sont « liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail, susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé ». Une commission pluridisciplinaire validera au cas par cas «les modes de preuve apportés par l’assuré et d’apprécier l’effectivité du lien entre l’incapacité permanente et l’exposition aux facteurs de risques professionnels. »

Les taux d’IP attribués en accident de travail ou en maladie professionnelle, sont évalués par les médecins-conseils de l’Assurance Maladie, selon un barème indicatif (Accidents du Travail – Maladies Professionnelles). Certaines maladies professionnelles nécessitent, pour leur reconnaissance, que l’assuré ait été exposé au risque pendant un temps minimum (durée d’exposition) ; de plus, la demande de reconnaissance ne peut pas intervenir au-delà d’un délai après que l’assuré a cessé d’être exposé à ce risque (délai de prise en charge).

Avec l’aide du docteur Xavier Bourhis, médecin-conseil à l’Assurance Maladie, OWNI a essayé de vous montrer de façon un peu plus concrète à quoi correspondent ces tableaux très techniques, en vous donnant des exemples d’IP selon les seuils-clés de la réforme. Nous avons aussi abordé le cas des pathologies qui peuvent se déclarer après le départ à la retraite. Il arrive en effet qu’un salarié ne présente aucune affection durant son activité professionnelle et que les premiers symptômes apparaissent à un âge plus avancé, parfois « du jour au lendemain », nous a expliqué le Dr Bourhis.

Ces maladies, même si elles peuvent être prises en charge au titre des maladies professionnelles, aboutissent de fait à des inégalités devant la retraite. Un cancer, même reconnu d’origine professionnelle et à ce titre indemnisé, diminue votre qualité de vie, voire votre espérance de vie tout court, et donc votre temps de retraite. On lira à ce titre cette étude de l’INED, pointée par Le Canard enchaînée du 29 septembre 2010, éloquemment intitulée «La double peine des ouvriers’ : plus d’années d’incapacité au sein d’une vie plus courte.» [PDF]

« Le projet du gouvernement confond deux problèmes, résume Florence Toureille, présidente du SNPdos / CFDT : l’incapacité permanente de travail liée à un accident au travail et celles liés aux conditions de travail. Les 10% ne changent rien, ce pourrait être 2%.» Et au final, ce sont les mêmes personnes qui sont doublement pénalisées : ceux qui ont commencé tôt un travail pénible. Elle craint aussi un double examen pour que les salariés puissent continuer de bénéficier de la retraite à taux plein à 60 ans. Actuellement, il faut être déclaré inapte au travail suite à un examen médical du médecin-conseil pour y avoir droit.

On rajoutera aussi que le flou plane sur la composition de cette commission et son cadre de travail : «Une commission pluridisciplinaire territoriale sera chargée d’attester cette exposition ainsi que le lien entre celle-ci et l’incapacité », indique laconiquement le gouvernement. «Est-ce que le barème de la sécurité sociale s’appliquera ?, s’interroge Florence Toureille, ou celui de droit commun, plus sévère ?» Dans l’ensemble, elle «doute que les directives soient favorables.» Et vu l’enjeu financier, – d’après les chiffres du gouvernement, on passerait de 10.000 à 30.000 travailleurs concernés par an -, ce doute peut sembler légitime. On rajoutera pour le contexte que la tendance est à une baisse des accidents du travail (-7,5% de 2008 à 2009) et à une augmentation du nombre de maladies professionnelles (+8% sur la même période), selon le rapport de l’Assurance Maladie-Risques Professionnels [PDF].

D’aucuns envisagent de fixer l’âge du départ à la retraite en fonction de l’espérance de vie par métier. L’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante) et le FNATH (Association des handicapés de la vie) proposent ainsi que les ouvriers exposés à des produits dangereux aient une retraite anticipée. En septembre, la vice-présidente socialiste de la commission des finances, Raymonde Le Texier, a assuré que le PS comptait « se battre sur la pénibilité », pour essayer de revenir à une prise en compte par branche et non plus individuelle. Alors que le débat se poursuit au Sénat, les différents partenaires sociaux avancent leurs solutions.

L’exercice d’OWNI a ses limites : il ne s’agit bien entendu que d’exemples. En effet, comme l’a souligné à plusieurs reprises le docteur Bourhis, « il est impossible d’attribuer un taux d’IP automatique en fonction du seul diagnostic, d’où le rôle du médecin-conseil, sinon un ordinateur suffirait.» Au cas par cas, c’est le médecin-conseil qui fixe le taux d’ IP, en fonction notamment de son examen clinique, des résultats des examens complémentaires et dans certains cas d’antécédents médicaux ou chirurgicaux du patient. Il est strictement impossible de faire des équations du type x années de travail de peintre en bâtiment =  x % de taux d’IP.

Ouvrez le poster en grand format

Poster réalisé par Marion Boucharlat

Illustrations CC FlickR par dorena-wm, idlphoto

Retrouvez le dossier intégral d’OWNI sur les mobilisations de ces dernier jours

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Majorité échange débat contrarié contre pédagogie de la réforme http://owni.fr/2010/10/18/majorite-echange-debat-contrarie-contre-pedagogie-de-la-reforme/ http://owni.fr/2010/10/18/majorite-echange-debat-contrarie-contre-pedagogie-de-la-reforme/#comments Mon, 18 Oct 2010 18:08:45 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=32059 Depuis quelques jours, le gouvernement est face à un dilemme : résolu à ne pas modifier sa réforme des retraites, il se trouve incapable de changer les Français. Malgré mille stratégies de communication pour faire passer la pilule (qu’elles aient vanté la « justice sociale » ou le caractère « indispensable » de la réforme), l’opinion rechigne à accepter la réforme et la majorité se trouve incapable d’empêcher les manifestations d’être reconduites d’une semaine sur l’autre. Pour sauver la face, Frédéric Lefebvre (lobbyiste de formation) a donc dégainé un refrain un peu usé du sarkozysme : le besoin de « pédagogie » de la réforme.

Idée 1 : si vous êtes contre la réforme des retraites, c’est que vous ne l’avez pas comprise !

Derrière le mot « pédagogie », deux notions assez peu glorieuses se cachent : d’une part, une infantilisation de l’opinion publique, suivant l’idée que « ils s’opposent à cette réforme car ils ne l’ont pas compris ». Dès le lendemain de la manifestation du 7 septembre, François Fillon avait été envoyé pour « faire de la pédagogie ». Le 23 septembre, au soir de la seconde grande manifestation, c’était au tour du président du Sénat, Gérard Larcher, hôte du deuxième vote parlementaire sur la réforme des retraites, de plaider pour la pédagogie. Et, au cas où certains journalistes auraient eu l’idée saugrenue de critiquer le gouvernement, Nicolas Sarkozy lui-même s’était collé à « faire de la pédagogie » en juin dernier auprès des médias.

Idée 2 : noyer le débat sous un déluge de nouveaux mots

Passée cette idée selon laquelle il faut vraiment être abruti ou mal informé pour ne pas adhérer aux réformes proposées par le gouvernement, une méthode est là comme deuxième sous entendu de ce mot pédagogie : le « wording ». Début 2008, l’UMP avait édité un fascicule relié intitulé : « abécédaire des 9 premiers mois d’action de Nicolas Sarkozy (de François Fillon et du gouvernement ».

Malheureusement retiré du nouveau site de l’UMP (mais toujours disponible sur Marianne2), ce petit bijou de langue de bois compilait des dizaines de sujets-clés assortis d’argumentaires-types, étiquetés « à retenir » (voir ci-dessus) à destination des militants de droite pressés par leurs amis de gauche de justifier telle ou telle réforme. Soit la méthode exacte de communication du gouvernement qui, à chaque évènement politique majeur (à commencer par les élections) déploie tous ses éléments pour couvrir le champ médiatique d’arguments standardisés. Ce à quoi nous allons avoir droit sur la réforme des retraites : une poignée de formules calibrées répétée à l’infinie par les ministres et les membres de la majorité.

Or, ce matraquage n’est là que pour se substituer à la discussion que demandent les syndicats et au débat qu’exige le Parti socialiste. La « pédagogie » de Frédéric Lefebvre n’est qu’une énième tentative de noyer à grands mots les réfutations et critiques de l’opposition, sans rien changer à la lettre de la loi. Une démarche d’autant plus paradoxale que, à entendre François Fillon, la loi sera votée dès mercredi. A moins que le gouvernement ne soit pas si sûr de son fait et veule finalement plus se bercer lui-même que d’endormir les manifestants.

Photo FlickR CC Lucas Maystre et extrait de l’Abécédaire des 9 premiers mois d’action de Nicolas Sarkozy (de François Fillon et du gouvernement.

Retrouvez le dossier intégral d’OWNI sur les mobilisations de ces dernier jours

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Les #slogans du #19oct : de quoi ces manifestations sont-elles le cri ? http://owni.fr/2010/10/18/les-slogans-du-19oct-de-quoi-ces-manifestations-sont-elles-le-cri/ http://owni.fr/2010/10/18/les-slogans-du-19oct-de-quoi-ces-manifestations-sont-elles-le-cri/#comments Mon, 18 Oct 2010 15:58:45 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=32017

Les manifestants ne savent pas de quoi ils parlent

Voilà où en sont arrivés certains membres de la majorité pour critiquer le mouvement social qui rempli régulièrement les rues françaises depuis le 7 septembre. L’arrivée des lycéens dans les cortèges et les blocages a rendu l’attaque encore plus facile : « on ne parlera de leurs retraites que dans 50 ans », s’exclamait à la télévision le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. Et si nous prenions au sérieux deux minutes ces déclarations : et si, effectivement, les manifestants réunis par millions sous le soleil ou le froid des 7 et 23 septembre et des 2, 12 et 16 octobre ne défilaient pas spécifiquement contre la réforme des retraites ? Eh bien une autre question se poserait alors : quel genre de mot d’ordre caché réunit une à deux fois par semaine des millions de Français dans les rues ?

Étrangement, cette question là, aucun membre de la majorité ne la pose.

Définir un ras-le-bol en recueillant les mots de la rue

« C’est pas spécialement pour les retraites, y’a ça, mais on sent un ras-le-bol », dit calmement une sexagénaire, qui avait déjà marché déjà devant les CRS à Charonne contre la Guerre d’Algérie. Son témoignage sur Diasporamas en rejoint de nombreux autres, de tous âges et en tous lieux.

Interrogés par Le Monde.fr, certains lycéens descendus dans la rue ne semblent effectivement pas savoir de combien d’annuités la réforme va allonger la cotisation retraite, mais ne sont pas forcément là pour ça, et l’admettent : « je suis nul en politique et en économie, avoue Mathylde, en Terminale littéraire, qui considère cependant que : la réforme, c’est un nouveau signe de recul social. » A 50 ans d’écarts, un même constat : il y a une accumulation d’injustices. La réforme des retraites, etc.

Plutôt que de regarder les nuages pour savoir à quoi pense la France, OWNI a décidé de se laisser emporter par la foule : nous ne compterons rien cette fois, nous réunirons avec vous les arguments des banderoles. Par Twitter, Dailymotion, Youtube ou FlickR, en taggant de la date #19oct et du mot #slogan, nous vous invitons à nous envoyer les photos, vidéos et sons, des quatre coins de la France qui expliquent la manif, en précisant votre #ville d’un troisième tag, si possible en utilisant le code postal. Nous les compilerons par écrit pour crowdsourcer les mots les plus utilisés, les sentiments les plus forts, peut-être les noms qui font que la France tape des pieds. Sans recherche de sensationnel, ni de bon mot : nous cherchons simplement à cartographier les slogans que les manifestants portent.

Car au delà des habituels articles d’ambiance qui ne relèvent que les banderoles violentes ou provocatrices, nous restons persuadés qu’on n’utilise pas la force symbolique d’un mot soulevé au dessus de sa tête dans un cortège juste pour passer à la télé : on ne manifeste pas que pour soi quand on est dans un torrent de milliers de mobilisés. Peut-être cette cartographies des slogans donnera-t-elle raison à la majorité qui dit que les Français ne descendent pas dans la rue contre la réforme des retraites. Mais elle pourrait bien donner une réponse désagréable pour le gouvernement à la question de savoir ce qui pousse depuis le 7 septembre des millions de personnes à s’y réunir.

Photo : FlickR CC Marc Wathieu et lemarakk ; maikoki.

Retrouvez le dossier intégral d’OWNI sur les mobilisations de ces dernier jours

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Guerre des nerfs : #12oct historique, majorité monolithique http://owni.fr/2010/10/13/retraites-manifestations-blocages-guerre-des-nerfs-12oct-historique-majorite-monolithique/ http://owni.fr/2010/10/13/retraites-manifestations-blocages-guerre-des-nerfs-12oct-historique-majorite-monolithique/#comments Wed, 13 Oct 2010 09:21:13 +0000 Sylvain Lapoix http://owni.fr/?p=31436 Mieux que les « grandes grèves » de 1995 et que le mouvement anti-CPE en 2006. Annonçant le même chiffre de 3,5 millions de participants pour cette journée du 12 octobre (pour la première fois depuis le début du mouvement), CGT et CFDT se rangent derrière l’adjectif « exceptionnel » pour décrire le quatrième cortège en un mois réuni contre la réforme des retraites. Même les 1,23 million de manifestants comptés par la police marquent un progrès de 9% par rapport au 7 septembre (le plus haut depuis la rentrée).

La démonstration de la rue s’est doublée de blocages dans les raffineries, les lycées, les ports et réseaux de transports, dont certains, à commencer par la RATP, annonçaient ce soir la reconduction pour mercredi 13 octobre. Même si, en milieu de journée, l’Elysée s’était mis en garde, en déclarant qu’il s’attendait à une « journée suivie », le succès renouvelé des mobilisations ne fait qu’accentuer la tension avec une majorité qui pousse le vote à l’urgence et se drape de justice pour affirmer que la rue a tort. Une posture de plus en plus difficile à maintenir.

Guerre du chiffre

Sujet à débat jusque dans leur méthode, les comptages de la police sont désormais remis en cause par les pointeurs eux-mêmes : relevés à chaque manif du fait de leur écart délirant (jusqu’à un rapport de un à dix) avec ceux des syndicats, les estimations de la police marseillaise ont été dénoncés par le syndicat SGP Police comme divisés (24500 annoncés contre 100000 comptés). A l’origine de l’information, Europe 1 titre déjà sur le « maquillage » des chiffres. Comme souvent, obsédé par les indicateurs et la comptabilité politique, la majorité sarkozyenne va s’empresser de dire que ces chiffres (qui lui sont soudain défavorables) n’ont aucune valeur.

Or, c’est elle qui leur a donné de l’importance quand ils mettaient en avant une baisse entre le 7 septembre et le 23 septembre. Par ailleurs, ces chiffres-là ne sont pas issus d’un baromètre fiscal mais de la rue : par leur valeur de rattrapage démocratique, véritables « référendum » de la rue (selon l’analyse de l’historienne Danielle Tartakowsky), contester ces chiffres reviendrait à falsifier une élection. Les manifestants et les journaux auront donc à cœur de savoir le fin mot de l’histoire et apprendre si Marseille était un cas isolé ou le seul cas découvert.

Guerre des jeunes

Dès 8 heures sur les piquets, prêts à répondre aux journalistes avec la colère de leur âge, les lycéens ont fait l’ouverture des matinales radios, donnant le ton du jour. Eric Diard, député UMP des Bouches-du-Rhône, l’avouait ce matin : il a plus peur de la radicalisation des jeunes « que de la fermeture des terminaux pétroliers ». De fait, dès vendredi dernier, les premières déclarations mettant en cause les réseaux sociaux comme « fauteurs de grèves » et relais de « tracts gauchistes » fusaient de la bouche des ministres mêmes et ce jusqu’à ce matin.

Il fallait crier à la manipulation. Fort. Plus fort que les jeunes. Raison pour laquelle le Premier ministre lui-même y a été de son accusation contre la gauche de « mettre des jeunes de 15 ans dans la rue », comme une condamnation de proxénétisme en plein Palais Bourbon. Las, comme en 1995, la plupart de ces mouvements furent spontanés. Or, c’est précisément ce qui effraie la majorité, comme le soulignait Aurélie Trouvé, coprésidente d’Attac, cette frange des manifestants est la plus imprévisible et la plus tenace. Investis d’un tel poids politique, les syndicats (UNL, Unef, Sud et autres formations étudiantes de gauche) ont peu de chance de vouloir lâcher une mobilisation qui pourrait leur permettre de réitérer le coup de 2006 et du retrait du CPE. Malgré les hauts cris de Copé contre l’opposition « irresponsable de pousser des jeunes à faire grève » et autres répétiteurs de Fillon, Eric Diard a vendu la mèche sur les inquiétudes de la majorité vis-à-vis des jeunes. Eric Diard par ailleurs président du Conseil national du Bruit. Comme quoi certains membres de la majorité ont de vrais vocations.

Guerre des nerfs

Accumulés, toutes ces déconvenues mettent désormais la majorité en position défensive. La preuve en est que, comme au moment de l’affaire Woerth, l’arrivée des jeunes dans les cortèges est présenté comme un « complot », une « manipulation ». Les tentatives de contre-feu se multiplient. Comme à la veille de précédentes manifestations, des propositions hors sujet sont avancées pour décourager le mouvement : qui a vu une seule banderole parlant du bouclier fiscal dans les rues ? Personne mais le gouvernement veut faire savoir qu’il se penche de tout son long sur sa suppression, le JDD y a consacré une longue page ce week-end et des ténors de la majorité sont envoyés prêcher la bonne parole qui pourrait se résumer à « nous résolvons les inégalités ». Et qui de mieux pour ouvrir le bal que le ministre du Budget lui-même, invité dès le matin du 13 octobre sur France Inter ? Seul problème, ce débat là n’est pas celui qui intéresse la rue.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Autre diversion, le rapport du FMI recommandant le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite en France fut l’occasion d’une joute entre la majorité (bien heureuse d’acculer les Socialistes au candidat DSK que beaucoup voient comme déjà désigné) et le PS (embarassé). Or, dans les deux cas, la majorité fait fausse route. Sa « pédagogie de la réforme » a parfaitement porté ses fruits : tous les manifestants ont retenu que le gouvernement restait inflexible sur le recul de l’âge de la retraite et il n’en faudra pas plus pour ressortir samedi prochain dans la rue.

Le chiffre le plus important, c’est celui des 71% de Français interrogés par l’Ifop qui continuent de soutenir la grève. « Normalement, je mets une heure pour aller au travail. Là, ça va me prendre deux heures ou deux heures et demi, mais je comprends le mouvement, je les soutiens », me racontait à l’oreille ce matin ma radio branchée sur RTL. Cet usager mécontent là, cela fait longtemps que je ne l’avais pas entendu, compréhensif à ce point. Et, sur son quai de gare, il prouve à lui tout seul un fait qui pourrait coûter la face au gouvernement : la France qui ne manifeste pas, elle aussi, est contre la réforme. Et, contrairement à ce que certaines villepinades pourraient le laisser croire, la majorité ne l’écoute pas.

Crédit photo FlickR CC : boklm , mafate69.

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Les lycéens rejoignent la contestation http://owni.fr/2010/10/07/les-lyceens-rejoignent-la-contestation/ http://owni.fr/2010/10/07/les-lyceens-rejoignent-la-contestation/#comments Thu, 07 Oct 2010 12:12:19 +0000 Agnès Maillard http://owni.fr/?p=30828

Démarrage en cote, ce matin, chez Le Monolecte : petit marathon matinal impromptu à la recherche d’une manifestation sauvage.

Les habitués le savent : le matin, c’est revue de presse d’Internet, jusque vers 10 heures, juste histoire de s’imprégner dès potron-minet de la fétidité du jour en Sarkoland, an de disgrâce III. J’oscille généralement entre colère et écœurement et selon l’émotion qui l’emporte, j’écris ou je me morfonds. Ces derniers temps, l’ambiance était plutôt à la nausée matinale, sans même l’espoir d’un heureux événement au bout.

Mais ce matin, par la grâce du téléphone arabe qui s’accommode fort bien des technologies de pointe, me voilà dans une bonne grosse vague de joie féroce, empoignant tout mon bardas d’un geste ample et décidé avant de m’engouffrer dans la R25, pied au plancher vers le centre-bled. Je sais, ce n’est pas bien de doubler sur les zébras, mais mon petit doigt m’a dit que les ninjas volants en pyjama bleu viennent eux aussi d’avoir leur routine matinale bousculée par les événements en cours.

Le temps d’arriver et il n’y a déjà plus rien sur la place des bistrots. Je tombe sur la bouchère et lui lance au galop :

  • Vous n’auriez pas vu passer une bande de jeunes qui manifesteraient vaguement ?
  • Oui, mais ça fait déjà bien cinq minutes qu’ils sont repartis vers les arènes.

Voilà donc comment je me retrouve à traverser tout le bled en semi-fond, à la recherche d’une manifestation fantôme que personne n’avait prévu. Le bled est aussi calme que d’habitude. Arrivée en bas, déjà bien moins fraîche qu’en haut, j’avise la poulaillère à roulette qui était donc bien réquisitionnée ici, au lieu d’aligner du pruneau sur les petites routes de Gascogne. Pas un cri, pas un bout de banderoles, je suis une pisteuse déplorable, incapable de débusquer une poignée de gueulards dans un bled moins grand que le Carrefour de Toulouse Portet. Je remonte la rue principale et tombe sur le mini-troupeau des adorateurs du kebab. Toute la semaine, ils sont une demi-douzaine de gaziers à palabrer comme des vieux à bérets sur un bout de banc en béton.

  • Heu, vous n’auriez pas vu des collègues du lycée en train de faire une sorte de manifestation, quelque part ?
  • Ben si, ils sont tombés sur les flics en bas, du coup, ils font le tour par les allées Parisot [NDLR : ben non, ça s'invente pas, on a vraiment des allées Parisot dans le bled, sauf que celui-là, c'était un sacré résistant !]. Ils devraient pas tarder à rejoindre la place du haut.
  • Merci les gars !

La place du haut. Celle où je me suis garée, où je retourne, toujours au galop, et où je déboule, juste à temps pour poser un genou à terre et commencer à mitrailler, enfin, ma manifestation surprise de lycéens.

Ils sont une petite centaine, très contents de leur effet, bardés de pancartes et de banderoles, mais avec un répertoire révolutionnaire des plus indigents :

Sarkozy, si tu savais, ta réforme, ta réforme, Sarkozy, si tu savais, ta réforme où on se la met.

Celle-là, elle date des manifs anti-Devaquet de 1986. Du coup, je me prends un quart de siècle dans les gencives, je me revois en train de draguer mollement celui qui deviendrait le père de ma fille et je me jure de ne plus jamais me payer la tête d’un ancien combattant.

Le cortège s’est enfin garé devant la mairie, tournant en boucle sur le même refrain avec une belle détermination juvénile. J’accroche une petite blonde platine que d’autres m’ont désignée comme faisant partie des leaders.

  • Bonjour, c’est quoi cette manif, j’étais même pas au courant ?
  • En fait, c’était un peu l’idée, c’est une manif surprise.
  • Les lycéens ont décidé spontanément de rejoindre le mouvement contre la réforme des retraites.
  • Oui, mais c’est un peu plus compliqué que ça. En fait, ce sont les syndicats de travailleurs qui ont suggéré officieusement aux syndicats étudiants de lancer quelque chose de leur côté.
  • Ah, bon, ce n’est pas si spontané que ça… Et vous dépendez d’un syndicat?

Elle montre son gros autocollant Fidel collé sur son polaire

  • Ah, ben, oui, forcément.
  • On doit aller avoir le maire, là!

Les lycéens décident de faire un sitting bruyant, mais avec un seul couplet en tête, il faut bien avouer qu’ils rament sévèrement pour maintenir les décibels au taquet. Franchement, il va falloir penser à renouveler un peu le genre, question musique et slogan. Cela dit, c’est toujours mieux que la sono CGT qui crache le très joyeux et inapproprié J’ai la quéquette qui colle, dans les manifs de salariés.
Je me rabats sur un autre groupe de leaders.

  • Bon, en fait, pourquoi vous vous joignez au mouvement sur les retraites?

Elle, elle est brune et plus grande que moi. C’est comme ça. Dès la sixième, ils sont souvent plus grands que moi.

-Parce que cela nous concerne : ils veulent faire travailler les vieux plus longtemps, alors que nous, on a déjà du mal à trouver un boulot.
-Ah, bon ! Donc, en fait, c’est assez égoïste, votre solidarité !
-Oui, mais c’est vrai que c’est pas logique leur réforme, alors qu’on n’arrive pas à s’insérer.
-Bon, on dit pas qu’il ne faut rien faire. On sait que ça ne peut pas continuer comme ça, mais c’est pas la bonne façon.

Celui qui vient d’intervenir a le poil au menton légèrement plus dru que les autres.

  • Tu es au syndicat lycéen, toi aussi ?
  • Moi non, je suis un ancien, je viens de Toulouse pour leur prêter main-forte.
  • Tu es en fac ?
  • Oui, je viens soutenir mes anciens copains.
  • Mais tu es un agent agitateur extérieur, en fait !
  • Oui, on peut dire ça.
  • Mais la manif, là, c’est le bled tout seul dans son coin ?
  • Non, non, c’est pour aujourd’hui, partout en France.
  • Mais comment vous avez fait pour organiser tout ça ?
  • Ben Internet.
  • Oui, Internet… et des SMS.

Là, ça parle geek et tout de suite, il y a un petit groupe qui se forme autour de moi.

  • Expliquez !
  • Dès lundi, ça a tourné sur Facebook et là, ça va très vite. On a monté un groupe…
  • Non, c’était un événement…
  • Oui, un événement qui s’appelle ‘manifestations devant les lycées’…
  • Je vais aller voir
  • Non, ce n’est pas la peine, c’est un groupe privé.
  • Oui, moi, j’ai reçu le message lundi soir et tout de suite après, j’ai balancé plein de SMS partout chez mes copains.
  • Et puis là, on prépara le 12 !
  • Le 12 ?
  • Ben oui, l’acheminement, pour les grandes manifs. Y en a qui iront à Auch et d’autres à Toulouse. On s’organise, quoi !
  • Excellent. Vous pensez quoi, vraiment de cette réforme ?
  • Ben tout le monde sait qu’il faut en faire une, mais pas celle-là.
  • Comment ça, il faut en faire une ?
  • Ben, on le sait.
  • Vous le savez d’où?
  • Tout le monde le sait.
  • Mais tu as des chiffres, des arguments ? On te donne une réponse, comme ça et ça te va ?
  • Oui, mais y a plus d’argent.
  • Où ça, il y a plus d’argent ? Vous savez ce qu’il s’est passé il y a deux ans ?

Bon, là, c’est vrai qu’il y a deux ans, ils avaient peut-être autre chose à penser qu’à la crise de l’immobilier, des banques et de tout le pognon qui s’est évaporé dans les plans de sauvetage et de relance. Je change d’angle.

  • Comment vous expliquez qu’il n’y a plus assez de fric pour les retraites ou l’éducation dans ce qui est un des pays les plus riches du monde ? On n’a jamais été aussi riches.
  • Heu, c’est qu’il faut prendre l’argent du capital !?!
  • Non, je ne parle pas de réponses toutes faites, je parle de bonnes questions, des bonnes questions que vous devez vous poser avant d’accepter des réponses que vous n’avez pas demandé.

Bon, là, je crois que je les embrouille. Mais si j’ai pu les faire douter un peu de la propagande des déficits sociaux, ce ne sera déjà pas mal joué. Je les laisse repartir en cortège vers l’église. Il n’y a jamais personne de ce côté-là, mais ils ont encore de l’enthousiasme et de l’énergie à revendre.
Sur la place de la mairie à présent désertée, une petite vieille me rejoint en râlant :

  • Et voilà, on supprime des postes, on ne les encadre plus et ils font n’importe quoi !
  • Comment ça ?
  • Ben, là, les jeunes, à tout bloquer.
  • Vous savez, là, ils manifestent pour les retraites, les jeunes.
  • Ah bon ?
  • Ben oui. Ils manifestent pour vous, en fait.
  • Ah, c’est bien, je n’avais pas compris.

À la cambrousse, il est d’usage d’amortir au maximum chaque voyage au bled. J’en profite pour finir ma tournée chez ma bouchère.

  • Alors, vous les avez trouvés, vos jeunes ?
  • Je me suis surtout tapé un sacré footing de bon matin, mais c’est bon, c’est dans la boite.
  • Et c’est pour quoi, là ?
  • Contre la réforme des retraites, pour laisser la place aux jeunes.
  • Oui, enfin, bon, c’est bien de râler, mais après, ils ne veulent pas travailler.
  • Comment ça ?
  • On n’arrive pas à trouver des apprentis. Les jeunes, ils ne veulent pas travailler dans la boucherie, les choses comme ça.
  • Faut dire que les filières professionnelles ne sont pas franchement valorisées au lycée.
  • Oui, mais c’est surtout qu’il faut se lever tôt et bosser le samedi et le dimanche. Donc, terminée, la fête avec les copains.
  • D’un autre côté, je comprends.
  • Vous savez, mon prof au lycée, il m’avait dit que je n’arriverais jamais à rien. Ben aujourd’hui, je suis là !
  • C’est vrai ! Et c’est tant mieux pour nous.
  • D’ailleurs, samedi, faut passer : on fera dégustation avec du bourret.
  • C’est demandé si gentiment que je ne vais pas rater ça.


Images CC Flickr Le Monolecte, album photos de la manifestation

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