Ushahidi ou la cartographie du message

Le 18 août 2010

Depuis sa création en 2008 au Kénya, Ushahidi connaît un développement rapide. De Madagascar à l'Inde et des guerres civiles aux cyclistes de Los Angeles, retour sur un service particulier.

Ushahidi est un outil open source qui a été développé pour servir de plateforme de suivi de crise. Il permet d’afficher sur une carte en ligne les messages envoyés par SMS depuis le terrain. L’idée est née il y a maintenant 2 ans. En ce début d’année 2008, le Kenya est frappé par une terrible flambée de violences qui fait suite à la réélection contestée du président en place, Mwai Kibaki, à la tête de l’état. Alors que les partisans des deux camps s’affrontent, Ory Okolloh, développeur kenyane et bloggueuse déjà reconnue pour ses billets politiques, lance l’idée d’Ushahidi, “Message” en swahili. Le principe est simple et répond à l’urgence : il faut pouvoir visualiser ce qu’il se passe sur place.

Genèse d’un service utile

Ory Okolloh - World Economic Forum 2010

Le téléphone mobile étant l’outil de communication le plus utilisé en Afrique, il devenait évident qu’il fallait profiter de ses possibilités de géolocalisation. L’utilisation du réseau et de ses données de localisation individuelle prend une nouvelle tournure. Ce n’est plus “Big Brother is watching you” mais plutôt “Aidez nous à voir ce qu’il se passe, pour que tout le monde sache”.

Suite à l’article d’Ory Okolloh , les retours ne se font pas attendre. Très vite d’autres bloggeurs relaient l’info et de nouveaux développeurs viennent l’épauler pour mettre sur pied le projet Ushahidi.

Loin des clichés qui ont encore la vie dure sur l’Afrique, il faut savoir que le Kenya dispose de toute une génération de jeunes technologues venus étudier à Mombassa ou à Nairobi, la capitale, parfois après avoir fui les guerres qui embrasaient les pays voisins (Soudan, République Démocratique du Congo…). De plus la diaspora kényane étant très active aux États-Unis et dans le monde anglophone, notamment dans le milieu des nouvelles technologies, tout ce petit monde se connaît déjà bien et les ressources sont vite partagées. Une fois toutes ces bonnes volontés réunies, Ushahidi était né.

La plateforme open-source a vite connu un succès inattendu. Cette utilisation des réseaux mobiles, de la géolocalisation, dans des pays ou face à des situations de crise où internet est inaccessible et où les communications sont difficiles ou contrôlées s’est avérée plus qu’utile.

Inde, République du Congo, Haïti: des usages multiples

Partant de là le projet s’est rapidement diffusé sous le modèle du logiciel libre. Ushahidi a été massivement utilisé en Inde lors des élections du printemps 2009, presque un an après la création du service. Le ministère indien chargé de superviser les élections a décidé de l’utiliser pour pister les éventuelles irrégularités ou problèmes. Avec plus de 700 millions d’électeurs inscrits il lui était clairement impossible de mettre en place un suivi de tous les bureaux de vote. Un site a donc été ouvert avec Ushahidi et une large promotion a été faite pour que ce soit les citoyens eux-mêmes qui signalent les problèmes et fassent remonter l’information sur ce site simplement grâce à leur téléphone portable.

Ushahidi a également été déployé à la demande du CICR lors d’émeutes au Nord Kivu (RDC) qui ont provoquées des déplacements massifs de populations. Cette fois-ci l’outil n’était pas directement à destination des réfugiés mais plutôt des ONG afin d’anticiper les mouvements de population. Le but était de ne pas se laisser déborder par une arrivée massive de 10 000 réfugiés dans un camp déjà trop plein.

Dans les situations de crise humanitaire, une fois la plateforme mise en place, le principal enjeu est toujours de diffuser l’information sur l’existence de cet outil auprès des populations sinistrées. En Haïti par exemple, suite au terrible séisme, un site avec Ushahidi a rapidement été mis en place avec l’ONU (OCHA). Dans les premiers jours, c’était surtout les ONG qui l’utilisaient pour se passer des informations alors qu’elles étaient totalement dépassées. Il a fallu du temps pour que le message parvienne aux populations touchées et qu’elles retiennent le numéro leur permettant d’envoyer un message sur la plateforme utilisant Ushahidi.

Dans les semaines qui ont suivi beaucoup de monde s’est mobilisé sur le réseau notamment pour établir une cartographie fiable des zones touchées. Grâce à l’aide d’Openstreetmap et de nombreux traducteurs, l’outil mis en place s’est avéré essentiel pour venir en aide aux sinistrés. Suite à cela les gouvernements, les ONG et les médias internationaux ont réellement pris conscience du rôle que pouvait jouer un outil comme Ushahidi.

Coup d’État, feux de forêt, braconniers, zombies: tout passe par Ushaidi

Il reste que son utilisation est indissociable d’un réel effort de coopération et de coordination, notamment à l’extérieur des frontières en cas de crise. Les plateformes mises en place sont souvent prises d’assaut les premiers jours et parfois dès les premières heures par les proches des sinistrés qui tentent d’avoir des nouvelles de leur famille sur place mais il faut du recul et une vision globale pour que l’outil soit efficace. Les autorités et personnes sur place étant souvent soit débordées soit dans un black-out. C’est donc aussi “l’ailleurs” qui peut guider dans ce chaos. Lors de la crise politique qui a secoué Madagascar début 2009, les médias étant bâillonnés, la diaspora en savait plus sur ce qui se passait que les personnes sur place. Via l’outil de crise mis en place, des habitants d’Antananarivo pouvaient demander à ceux vivants à l’extérieur du pays des explications sur ce qu’ils entendaient au coin de leur propre rue et l’on voyait s’afficher des messages comme : “Je suis dans ma chambre, j’entends des coups de feu, que se passe -t-il ? La radio est coupée”.

Distribué en open-source, ce sont au final les utilisateurs de la plateforme qui en inventent les usages à chaque installation. L’humanitaire et les crises politiques on beaucoup fait pour faire connaître cet outil mais les possibilités de déploiement sont multiples et cela ne se limite pas nécessairement aux situations d’urgence. Il y a cet Ushahidi installé en Italie depuis deux ans pour suivre l’évolution des feux de forêt. À Los Angeles, un groupe de cyclistes activistes a monté un site avec Ushahidi pour répertorier les accidents impliquant des vélos, les routes à risque et ainsi essayer de rendre plus sécurisée la circulation en roue libre en Californie. Autre exemple, au Kenya, un site avec Ushahidi avait été utilisé par les parcs nationaux pour signaler les braconniers.

L’utilisation la plus originale restant pour l’instant : un mapping des incidents ou information concernant des… Zombies.

Illustrations CC FlickR whiteafrican, World Economic Forum,

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