Les législatives de l’étrange

Le 15 juin 2012

Invités à élire pour la première fois leurs députés, les Français de l'étranger ont dû composer avec les aléas d'un scrutin visiblement mal préparé et du fail à répétition. Outre des problèmes techniques récurrents, un autre facteur s'est invité : l'abstention. Au premier tour de ces législatives, le taux de participation n'a pas dépassé 20%.

Le 17 juin au soir, les Français de l’étranger connaîtront le nom de leurs premiers députés. Leur élection doit permettre une meilleure représentation de nos expatriés, éparpillés dans un monde divisé pour l’occasion en 11 circonscriptions. Au soir du premier tour (voir les résultats ci-dessous), qui s’est achevé le 2 juin, un chiffre a surtout retenu l’attention : celui de l’abstention. Boudées en France — la participation dépasse à peine les 57% — les législatives n’ont que très peu mobilisé à l’étranger, puisque seul un électeur sur cinq a voté.

Mo-ti-vé-e-s (#oupas)

Vue de France, cette proportion de votants semble particulièrement faible. Un constat à tempérer puisque les taux d’abstention chez les expatriés sont conséquents lors de tous les scrutins. A titre de comparaison, la présidentielle avait recueilli environ 40% des électeurs, contre 80% dans l’Hexagone. Pour expliquer ce manque d’engouement, plusieurs raisons peuvent être avancées. Tout d’abord, la distance des bureaux de vote : certains Français résident parfois à plusieurs centaines de kilomètres de l’ambassade ou du consulat le plus proche. Après 10 ou 20 ans éloignés de leur pays d’origine, des électeurs se sentent également moins concernés par les problématiques franco-françaises, et renoncent de fait à voter.

Ces difficultés logistiques ne suffisent à pas occulter les lacunes dans la communication qui a entouré ce scrutin. Pour tenter de mobiliser ce nouvel électorat, Nicolas Sarkozy a pourtant créé à l’été 2011 un secrétariat d’Etat aux Français de l’étranger, confié à l’ancien judoka David Douillet. Malgré cette initiative, les candidats regrettent le déficit d’information du ministère des Affaires étrangères. C’est le cas de Daphna Poznanski, la vice-présidente socialiste de l’Assemblée des Français de l’étranger. Avec 30,5% des voix, elle est arrivée en tête au premier tour dans la 8ème circonscription, qui regroupe notamment Israël, Chypre, la Turquie ou l’Italie.

Au niveau de la communication, ça a été un ratage complet. De nombreux électeurs n’étaient pas au courant, ou n’ont pas bien compris l’enjeu de ce scrutin. C’est une première donc nous essuyons forcément les plâtres, mais il faut avouer que c’est difficile de s’adresser à autant de personnes sur un si grand territoire. Lorsque TV5, une chaîne très écoutée par les expatriés, a communiqué dans ses journaux les dates du scrutin sans préciser qu’à l’étranger il aurait lieu une semaine en avance, nous étions effondrés. Nous avons vu affluer des électeurs devant les bureaux le 10 juin, alors même que les votes étaient clos depuis une semaine !

Pas défaitiste devant le fort taux d’abstention dans sa circonscription — 86,63%, un record — la candidate souligne que les électeurs israéliens n’ont pas pu se rendre aux urnes. A travers l’État hébreu, le dimanche est en effet un jour travaillé : il marque là-bas le début de la semaine.

En tête avec 4 400 voix

La participation dans cette 8ème circonscription mérite que l’on s’y attarde. Sur les 109 411 inscrits qui étaient appelés à se prononcer lors du premier tour, près de 95 000 se sont abstenus. Malgré ses 30,5%, Daphna Poznanski n’a finalement recueilli que 4 400 suffrages, soit 4,02% des inscrits. Comme elle, aucun des candidats pour les Français de l’étranger n’a atteint le palier des 12,5% prévus par la loi pour accéder au second tour. Pour contourner cet écueil, le législateur prévoit que les deux candidats arrivés en tête soient qualifiés. Dans la 8ème circonscription, la socialiste est donc opposée à sa rivale UMP Valérie Hoffenberg, créditée de 3 202 voix (soit 2,93% des inscrits) au premier tour.

Tout à fait légaux, ces résultats posent néanmoins une question de légitimité pour les futurs députés qui seront élus avec part une part infime des inscrits. Un postulat que réfutent les candidats et leur entourage, à l’instar de Corinne Narassiguin (PS), en tête dans la 1ère circonscription.

La légitimité ? Elle se fera une fois que les députés seront élus ! S’ils agissent en faveur des Français de l’étranger et défendent leurs intérêts alors oui, ils seront crédibles. En tout cas si je suis élue, c’est certain que j’aurai une responsabilité supplémentaire car nous seront en quelque sorte des ambassadeurs à ce poste.

“On n’est pas à l’aise” confie pour sa part Francis Huss, le suppléant de la candidate UMP pour la 5ème circonscription. Face à ces forts taux d’abstention, il tente de mobiliser encore et encore, “pourtant on a bombardé de mails depuis un an !” lance-t-il.

Bugs à répétition

Déjà peu enclins à se rendre aux urnes, les Français de l’étranger ont dû faire face à une succession de problèmes techniques. Si un certain nombre d’électeurs se sont trompés de date à cause d’une communication hasardeuse, ceux qui ont fait le choix du vote par correspondance ont eu quelques surprises.  “Plus de la moitié des votes reçus à temps ont dû être invalidés à cause de vices de forme” déplore Corinne Narassiguin, “sans compter les courriers reçus en retard et qui n’ont, de fait, pas pu être comptabilisés.” Un constat partagé par sa camarade socialiste Daphna Poznanski, qui évoque une “catastrophe totale.”

Dans les consulats et les ambassades, on attendait les bulletins par la poste le vendredi. Pour les électeurs, c’était tout simplement impossible car beaucoup n’ont reçu le matériel nécessaire au vote que le jeudi ! C’est regrettable que le gouvernement n’ait pas écouté l’Assemblée des Français de l’étranger qui avait pourtant demandé 3 semaines pour le vote par correspondance.

Le vote électrocuté

Le vote électrocuté

À partir de ce mercredi 23 mai, les Français de l'étranger peuvent voter pour élire leurs députés, grâce à des sites ...

Pour les expatriés qui avaient communiqué leur adresse électronique, le vote par Internet était une autre alternative. Déjà utilisé en 2006, il est jugé “peu fiable” et “dangereux pour le secret du vote” par les experts, comme le rappelait Owni dans un précédent article. Au premier tour de ces législatives, il a été utilisé par 126 947 électeurs, soit 57% des votants. Lors du scrutin, les internautes ont parfois du batailler pour réussir à voter, il leur a souvent fallu composer avec les bugs et les failles du système informatique mis en place.

Pour voter, un ordinateur non mis à jour était nécessaire, comme le rapporte Numerama. Avec la dernière version de Java, l’accès à la plate-forme était refusé, il fallait donc la désinstaller et en télécharger une plus ancienne. Pour faire face à ces difficultés, le ministère des Affaires étrangères a réagi et conseillait sur son site de “désactiver momentanément l’antivirus.” (sic) Le ministère qui tient à rester prudent pour le moment : les responsables en charge de ces questions tentent de rassembler de plus amples informations avant de tirer des conclusions. Les retours qui risquent d’être plus difficiles à récolter puisque dans le cadre du vote par Internet aucun assesseur n’est en charge de la bonne tenue des opérations. Les trois candidats à la députation que nous avons interrogés ont, en tout cas, fait part des problèmes rencontrés par les électeurs. Certains d’entre eux les ont alertés : ils n’avaient pas reçu leur identifiants ou ne réussissaient pas à valider leur vote.

Très actif sur ces questions, le Parti pirate — qui présentait par ailleurs une centaine de candidats à travers la France — avait anticipé de telles complications. Avant le scrutin, un site destiné à recueillir le témoignage des électeurs votant par Internet a été lancé, il a rassemblé à ce jour près de 250 réactions. Si certains s’avouent très satisfaits de pouvoir voter depuis leur domicile, d’autres décrivent un parcours du combattant pour accomplir leur devoir démocratique.

Inscrit sur la liste consulaire de Berlin, je n’ai pas reçu mes identifiants de vote par courrier. Mon adresse inscrite au consulat est pourtant la bonne, j’ai d’ailleurs bien reçu les professions de foi de la présidentielle et du premier tour des législatives. J’ai contacté l’assistance, et j’ai reçu le 24 mai une première réponse complètement surréaliste. On m’expliquait que je devais changer mon adresse postale avant le 24 avril. Toutes les informations étaient ciblées sur “comment s’inscrire au vote au mois d’avril”, et absolument pas sur le problème que j’avais décrit. [...] Suite à une relance, j’ai reçu une “vraie” réponse. Le constat était simple : ils considèrent que les éventuels problèmes postaux ne sont pas de leur ressort, et que si je n’ai pas mon identifiant, il n’y a rien qui puisse être fait. Je n’ai donc pas pu voter par Internet pour le premier tour. Et comme les identifiants sont les mêmes pour le second, il est probable que je sois dans la même situation dans deux semaines.

Face à ces dysfonctionnements, les membres du Parti pirate sont confortés dans leur opposition au vote par Internet. Si les difficultés rencontrées ne suffisent pas à obtenir sa suppression, elles contribueront sans doute à améliorer le dispositif pour les prochaines échéances électorales. L’implication des Français de l’étranger sera sans doute à ce prix.


Photo CC Mortimer62 [by-sa] et remix avec LOLcat via ICanHasCheezburger /-)

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